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Rénover la démocratie pour un autre monde possible

Petite pierre au chantier de la rénovation de la vie démocratique.

Dans le contexte d’une dévalorisation du volontarisme politique, les questions de l’existence et de la qualité de la vie démocratique me paraissent en effet essentielles. Si les marchés économiques et financiers sont jugés plus efficients que la délibération démocratique, car « plus raisonnables », « moins marqués par la démagogie », et exempts de toute « idéologie », alors nous assistons dans le même temps à un affaissement du débat et du respect de la délibération démocratique [1]. C’est la participation elle-même à la vie politique qui s’effrite peu à peu. Les constats sur le fossé entre les élus et les citoyens et sur la croissance de l’abstentionnisme à chaque élection sont rabâchés, sans que cette désespérance ne pousse à des propositions fondatrices d’un nouveau rapport politique [2].

Parallèlement, notre course à la croissance et au développement perpétuel dans un contexte de ressources limitées peuvent rapidement nous conduire vers une catastrophe écologique et humaine. Et on imagine aisément dans un tel scénario « des régimes autoritaires imposant des restrictions draconiennes à une population affolée et apathique » [3]. Pour ne pas parvenir à une telle situation, l’intégration de la composante écologique dans un projet politique démocratiquement conçu et discuté est indispensable.

Comme le soulignait Ivan Illich, « l’installation du fascisme technobureaucratique n’est pas inscrite dans les astres. Il y a une autre possibilité : un processus politique qui permette à la population de déterminer le maximum que chacun peut exiger dans un monde aux ressources manifestement limitées… » [4].

Enfin, comme l’exprimait le réalisateur du film « L’exercice de l’État », le temps n’appartient plus à l’homme politique… La démocratie a pourtant besoin de temps, elle en est même dévoreuse, afin de former les citoyens à la prise de décision, de les faire participer, d’identifier les problèmes et de formuler les idées et propositions. Or le phénomène actuel d’accélération du temps implique des décisions dans des délais de plus en plus courts, à la vitesse de rédaction et d’envoi des mails… Vitesse de décision des marchés financiers, vitesse des décisions des dirigeants d’entreprise, rapidité des gouvernants dans leurs décisions … qui parfois se contredisent.

Si nous pensons qu’un autre monde est souhaitable et possible, la question de la vie démocratique est en son cœur. Parce que cet autre monde possible passe par un choix fait par les citoyens dans le contexte d’un réel débat et d’une délibération de qualité.

Mais comment peut-on contribuer à refonder la démocratie ? En effet, la participation de tous les citoyens est délicate et même les démocraties directes, comme Athènes, ne sont jamais parvenues à impliquer tous les « citoyens », déjà peu nombreux lorsqu’on en écarte les femmes, les esclaves et les étrangers. Pour autant, je ne pense pas que les populations souhaitent un système antidémocratique. Alors, « comment aménager la désirabilité de la démocratie en prenant en compte les routines, les intermittences de l’implication ou les attentions obliques » [5] des citoyens ?

La démocratie représentative n’est pas une panacée mais elle n’est pas non plus l’incarnation du mal. Et des aménagements de la représentation sont envisageables comme le droit de révocation des élus, l’organisation d’états généraux, le référendum d’initiative populaire, le recours à la participation directe dans certains cas ou le bon usage des conférences de citoyens, etc., comme le souligne Serge Latouche. Pour cela, il faut des propositions et des débats.

Le pacte civique participe de ce débat en proposant de promouvoir l’éthique du débat et de la décision par la création d’un observatoire de la qualité de la vie démocratique. Cet observatoire devrait mettre en place une pédagogie de l’éthique du débat, présenter un rapport annuel sur les conditions du débat public et de la délibération, faire des recommandations sur l’utilisation des outils et des méthodes favorisant le débat et examiner l’implication des différentes catégories sociales et générations. Dans cette phase de démarrage, les animateurs du projet privilégient l’observation de la vie publique par des collectifs locaux volontaires qui pourraient notamment suivre selon leurs possibilités et volontés : le travail des députés suite aux contacts pris lors de la campagne législative, recenser les pratiques nouvelles sur leurs territoires et interpeller les maires dans la perspective des municipales de 2014. Ainsi est-il notamment mentionné l’observation concrète et ciblée du travail de quelques élus menée par le collectif de Lyon (suivi de 6 députés du département du Rhône).

Initiatives à suivre et à lancer…

Je partage avec d’autres l’idée que la revitalisation démocratique se réalise davantage dans la proximité que dans des structures nationales ou transnationales.

En effet, la démocratie peut d’autant mieux fonctionner que la communauté est de petite dimension et ancrée dans un cadre commun de vie. Elle est en lien avec les mouvements de relocalisation qui se développent sous la forme des AMAP, des Villes en mutation, etc.

L’initiative du collectif de Lyon paraît pertinente. Elle pourrait être poursuivie dans d’autres départements pour suivre :
- d’une part la participation au débat et à la délibération parlementaire de quelques-uns de nos députés,
- et d’autre part les modalités mises en œuvre par nos députés pour rendre compte de leur activité et recueillir les avis de leurs électeurs, donc de faire vivre la vie démocratique nationale sur un plan local.

Plusieurs outils sont en cours de construction pour faciliter cette démarche. Au-delà du site de l’assemblée nationale lui-même, Regards citoyens a mis en ligne Nosdeputes.fr qui permet de suivre l’activité parlementaire de chaque député. Par ailleurs, une initiative, PWF (Parliament Watch France), est en cours de constitution en France. Il s’agit de s’appuyer sur les nouvelles technologies pour chercher à réduire la perte de confiance entre citoyens et élus. Le projet prévu pour le printemps prochain et déjà mis en œuvre en Allemagne prendra la forme d’une plateforme internet accessible aux citoyens pour poser des questions aux élus, dont les résultats sont relayés par les médias.

Enfin, certains sont impliqués à un niveau ou à un autre dans la vie politique de notre commune ou agglomération (municipalités, conseils de quartier, conseils élargis, associations, etc.). Comment fonctionnent le débat et la délibération publics en leur sein, quelles places sont faites à l’écoute et à la participation des citoyens ?

Des outils et des instances existent déjà mais bien des choses restent encore à inventer pour participer à la mesure de nos moyens à une observation et à une action pour la revitalisation de la vie démocratique, en cherchant aussi des partenaires mobilisés en ce sens.

 

(1) L’irrespect politique à l’égard du « non » au référendum sur le traité européen en 2005 en est un exemple déconcertant en France.

(2) Cornelius Castoriadis parle de « privatisation », c’est-à-dire de retrait de la population de la sphère politique : la population « vaque à ses affaires cependant que les affaires de la société lui semblent échapper de son action », Une société à la dérive. Entretiens et débats, 1974-1997, p. 14-15 ; 24-25.

(3) Serge Latouche, Le pari de la décroissance, Fayard/Pluriel, 2010, p. 268.

(4) Ivan Illich, « La convivialité », in Œuvres complètes, t. 1, p. 570. Et il ajoutait qu’« un tel programme peut encore paraître utopique à l’heure qu’il est [1973] : si on laisse la crise s’aggraver, on le trouvera bientôt d’un extrême réalisme. »

(5) Philippe Corcuff, « Le pari démocratique à l’épreuve de l’individualisme contemporain », Revue du Mauss, n° 25, 1er semestre 2005, p. 77.

 

BBLR

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