C’est un livre court et dense. Un petit livre qui nous offre deux perspectives. D’abord, celle de la belle explication de l’auteur sur son amour de la langue yiddish qui en a fait l’un des rares Italiens capables de traduire le Nobel Issac Bashevis Singer : « Le yiddish ressemble à mon napolitain, deux langues de grande foule dans des espaces étroits ». La langue est bien la base de notre compréhension du monde, le véhicule par lequel on peut appréhender la vérité, èmet en langue hébraïque. Ainsi, « en hébreu èmet est féminin, mais devient masculin en yiddish, perdant en consistance. En hébreu elle est absolue, en yiddish elle est relative. » Là où le yiddish devra préciser que c’est la « pure vérité », il suffira en hébreu de dire que c’est la « vérité ».
Dans une deuxième partie, De Luca explore les relations d’un couple rencontré par hasard, attablé dans une auberge alors que l’auteur travail sur une traduction en yiddish. Il s’agit d’une femme d’une quarantaine d’années et de son père, ancien criminel de guerre nazi, qui ne regrette rien de son passé, et dont le seul tort a été de perdre la guerre. Et il assume ses actes : « Je ne cherche pas à me justifier en disant que j’ai été contraint d’exécuter des ordres. Au Tribunal, j’ai entendu mes supérieurs se déclarer sous Befehlsnotstand, en état de contrainte, à la suite d’un ordre. Ces ordres, nous les avons démontés et remontés, comme on le fait avec les armes. Nous les avons huilés et lubrifiés pour qu’ils ne s’enrayent pas. Nous les avons exécutés avec l’efficacité de l’enthousiasme. Notre faute est plus impardonnable : c’est la défaite. »
Pendant de longues années, cet homme a fui l’Allemagne et s’est caché en Argentine, puis il est retourné dans sa ville natale, Vienne, tant il est vrai qu’« on se cache mieux dans sa propre région ». Après avoir su la vérité, la vérité vraie, sa fille est restée vivre avec son père, sans vouloir décortiquer les crimes de cet : « homme recherché pour crimes de guerre. Lesquels et combien : j’ai voulu l’ignorer. Je ne crois pas à l’importance des détails. Ils sont utiles dans un procès, mais pas pour une fille : la circonstance horrible devient atténuante car elle réduit le crime à des épisodes. En revanche, dépourvu de détails, le crime reste sans limites. » Un père qui a été lui-même confronté à la langue hébraïque : « Mon père a connu le mystère d’une lettre hébraïque qui, placée devant un verbe au futur, le transforme en temps passé. Il paraît qu’aucune autre grammaire au monde ne possède un tel atout. L’hébreu ancien traite le temps comme l’aiguille à tricoter la pelote de laine. Sa lettre vav en accroche un bout et le ramène en arrière. (…) mon père décida que c’était justement ce qui était arrivé au nazisme, la malédiction d’une lettre hébraïque avait inversé l’avenir du Troisième Reich à terme échu. »
GLR