De la rencontre de ses parents aux onze enfants qui en naissent, du soleil de Bizerte à l’appartement de Neuilly jusqu’à leur chute à la cité noire, Lionel Duroy nous fait vivre avec intensité la vie chaotique de sa famille. Si les Dunoyer de Pranassac semblent toujours faire les choix politiques les plus hasardeux de la Guerre de 39-45 à celle d’Algérie, Lionel Duroy peint surtout avec beaucoup de sensibilité LA Famille, les places qu’elle assigne aux enfants, selon les traits que leur visage a hérités : « celui-ci c’est un vrai Duvernois » et « ah ! celui-là c’est un parfait Dunoyer… ». Place donnée ou refusée, Lionel Duroy excelle à nous faire saisir les souffrances de cette construction familiale, le degré d’amour variant selon les lois de la génétique…
Dans la famille Dunoyer de Pranassac, il y a tout d’abord la mère… une belle femme qui vit dans le souvenir de son père, rêve de luxe et de convenances sociales. Une femme qui aime aussi un mari prêt à tout pour satisfaire ses exigences. Toto, le père, qui garde un sang-froid incroyable face à toutes les difficultés accumulées qu’il a lui-même souvent générées. Toto qui ne sait pas s’imposer ni s’opposer mais qui continue de vivre, qui garde le sourire pour ses enfants, qui peint et repeint les murs avec ténacité selon les goûts de sa femme. Et puis il y a les nombreux frères et sœurs… et les choix de vie qui s’imposent selon le dessein familial et les circonstances :
« Comment ai-je pu, moi qui avais tant aimé la philo, m’inscrire en première année de licence de droit ? Nicolas fait de même. Il me semble que c’est Frédéric qui nous en convainc, sous le prétexte que nous devons rapidement décrocher un diplôme qui nous permette de gagner le plus d’argent possible (pour sortir Toto de la merde, et ne pas y tomber à notre tour).
Le jour, je suis surveillant au cours Sévigné pour rembourser notre dette, et le soir je suis à l’université de Nanterre à écouter des professeurs qui parlent la même langue que les huissiers et ont le même regard implacable et désincarné sur la vie, sur le commerce entre les hommes. (…) Je suis triste et déprimé d’être tombé chez ces gens, surtout quand je me remémore ma félicité en classe de terminale, mon émotion pour Sisyphe dans l’ombre duquel je devinais Toto. Cependant, je continue de suivre les cours, me demandant que faire de ma vie. Et comme souvent, dans de telles circonstances, la vie décide pour nous… ».
Lionel Duroy retrace ce parcours d’enfant balloté dans une famille en crise et ce moment de rupture avec l’idéologie familiale. C’est cet instant où le choix apparaît, où « je me surprends à rêver, à entendre des phrases se former dans ma tête, s’enchaîner, composer bientôt tout un paragraphe, toute une page peut-être, qui me semble exprimer quelque chose de si essentiel, ou de si beau, que j’essaie aussitôt de le retranscrire »… Lionel Duroy dessine le parcours d’un adulte dont l’enfant crie sans parvenir à s’entendre parler… un peu comme l’écriture se perd jusqu’à trouver son chemin : « Cependant, le temps de trouver un crayon et du papier, je l’ai perdu, ou parfois le temps d’écrire la première phrase j’ai perdu tout le reste. Comme si ces mots, ou ces images, étaient enfouis si profondément en moi qu’ils n’affleuraient que dans certaines situations particulières, certains moments de détachement, d’inattention ou de grâce, avant de m’échapper aussitôt entraperçus. Cela me désespère et, en même temps, me remplit d’espoir. »
L’écriture vient, du journalisme au roman… mais c’est avant tout le roman familial que doit écrire l’enfant qui crie encore. Au risque de perdre les siens, de déchirer les liens. Et « Le chagrin » reste le livre d’une tristesse. Ce récit mélancolique porte le poids d’un destin familial dont l’auteur cherche à démonter la mécanique.
On se laisse happer par Le Chagrin, dans cette histoire si personnelle mais aussi universelle. Juste une question : pourquoi chercher à relier sa nouvelle vie à son histoire familiale. ? Cette dernière part est un peu le morceau surajouté comme si Lionel Duroy voulait retisser le roman familial décousu en y intégrant les mailles de sa nouvelle famille restée inconnue aux siens.
BBLR