18 heures. Il fait nuit. Je vais chercher le pain à pied. Une montée un peu raide, une petite-demi heure de marche aller-retour. Les flots de voitures descendent, montent. C’est fonction de l’alternance des feux. Je ne vois que les phares. Mais je sens les échappements. Sur le trottoir, deux adolescents à l’aller, une femme promenant son chien au retour. Ce n’est vraiment pas à pied qu’on peut rencontrer le plus de gens.
Un espace sépare la ville nouvelle et le village. Il semble infranchissable.
Un grand immeuble est en construction en montant vers la place du cœur cognant, dans le nouveau centre ville de Morale. Plus de 200 habitations si je me souviens bien, plusieurs étages, un centre commercial… Là-bas, ça ne gêne personne. Ou personne ne le dit.
Environ 30 ou 40 petites résidences sont prévues près du cimetière, en bas dans le village. Mais le cœur bat différemment rue de Sainte-Gueule d’Amour. Ici, il devient inadmissible de construire. Des bannières ont fleuri sur les portails, aux murs des jolies maisons. L’une d’entre elle proclame : « On construit la ville sur la ville et non sur le village » (quelque chose comme ça, il faudrait que je vérifie). Le voisin a ajouté qu’il ne s’agissait pas de « NIMBY, not in my backyard ». Ah, bon ?
Même la matière et le support employés pour s’exprimer diffèrent entre le haut et le bas. En bas, les slogans sont joliment dessinés sur des draps ou des cartons décorés. Des couleurs, des explications, des photos. On lit les panneaux comme un long poème. Un brin de créativité, et même d’humour… Les mots sont légers. Les maux sont-ils si lourds qu’annoncés ? Ici on s’oppose, on résiste dans la joie. On fait des dimanche matin crêpes, des soirées apéritives auprès des arbres en danger. On fait du lieu une aire de jeux pour les enfants, 100% naturelle.
En haut, les arbres ont déjà été coupés. Pas de slogans colorés, pas de draps joliment dessinés. Juste une grande palissade grise autour. Un seul panneau : « chantier », avec le montant de l’opération et sa durée. Là-bas on accepte, on fait avec.
La pente sépare. La forêt répartit les places. Le bas s’exile. Serait-il l’unique détenteur du droit à la nature ? Il faut construire la ville sur la ville, là-haut, et laisser le bas se claquemurer derrière ses murs de verts.
BBLR