Étonnant ce qu’on perd d’épaisseur dès qu’on se marie. A partir de cet instant, et bien que la notion de chef de famille n’existe plus, le ministère des Finances ne s’adresse plus à vous pour remplir la fiche d’imposition mais à votre conjoint. Peu importe que vous travailliez tous les deux ou non, la fiche d’imposition parviendra à Monsieur… Vous n’êtes plus censés avoir droit de regard sur la feuille d’impôt, sur la contribution fiscale à la nation qui vous concerne pourtant en qualité de citoyenne. Mais la citoyenne ne semble pas devoir être impliquée dans la déclaration familiale d’impôt bien qu’on puisse la poursuivre ensuite par solidarité avec son mari en cas de non paiement.
Un peu comme lorsque la femme était considérée comme une grande irresponsable sur les plans civil et politique, inaccessible à la raison citoyenne…. et pourtant reconnue responsable des crimes, délits et contraventions commis. Étonnantes contradictions !
Et cela se poursuit lorsque vous recevez un appel qui vous dérange dans votre travail, un appel comminatoire qui demande à parler au Docteur V.
- Ah ! Oui, et de la part de qui ? Vous en êtes presque à dire d’une voix aigüe, secrétariat du Docteur V., j’écoute !
- … de …, là, la voix devient incompréhensible, le débit, parti au galop, le ton monocorde, hachant tous les mots, a surtout permis à l’interlocuteur de ne rien comprendre. La fin seule peut être entendue, tranchante. Motif professionnel… pour parler au Docteur V.
- Ah ! Bon mais pour quel motif ? Vous savez faire la cruche, vous en abusez.
- Encore un mot incompréhensible, la voix est repartie de son allure folle. Puis cette voix mécanique, hautaine, demande à nouveau à parler séance tenante au Docteur V…. indiquant en vrac, loi Scellier, fiscalité, fiche d’imposition…
- Ah, si c’est pour l’imposition, vous pouvez m’en parler, je suis sa femme…
- Ah ! Bon, je croyais que c’était un numéro professionnel… A quelle heure pourrais-je alors parler au Dr V…
Eh ! Oui, encore une fois, la femme qui partage normalement toutes les joies et les difficultés avec son cher et tendre, se trouve évacuée, évaporée. Elle se transforme en vapeur inconsistante devant le fisc et les conseillers en patrimoine. Sans doute parce la gente éthérée ne comprend pas grand-chose à ce grand domaine viril de la fiscalité, à la notion de patrimoine et autres possessions matérielles. Les hommes font leurs affaires du patrimoine familial. Les femmes n’ont pas à s’en occuper, sauf lorsque surviennent des dettes en cas de difficultés. Et après la mort de l’homme. On pourra alors entendre un enfant, y compris sa fille, dire : « oui, ma mère n’avait pas l’habitude de remplir la feuille d’impôt, depuis la mort de Papa c’est Julien qui est obligé de l’aider… ».
Mais même si elle avait voulu la remplir cette fameuse fiche d’imposition, le fisc ne le lui demande pas et l’ignore… tout au moins pour remplir les cases.
La femme mariée est évanescente pour le fisc, elle est le gadget qui accompagne le détenteur du portefeuille d’actions pour les conseillers en patrimoine ou fiscaux.
Alors que dire des concessionnaires et garagistes. Bien que votre voiture soit à vos deux noms, bien que ce soit vous qui l’ameniez aux révisions et contrôles techniques, le garagiste ne connaîtra jamais que le nom de votre mari.
Tous ces symboles du mâle perdurent. Vous laissez couler, comme d’hab, mais ces symboles ont des conséquences comme votre évanouissement d’une certaine sphère de la vie publique. Ces manières de fonctionner vous énervent, elles sentent le suranné et pourtant elles restent caractéristiques encore de notre société.
BBLR