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Du domaine des murmures - Martinez Carole - Gallimard (2011)

Du domaine des murmures - Martinez Carole - Gallimard (2011)En l’an 1187, Esclarmonde, fille du seigneur du domaine des Murmures, refuse d’endosser le rôle qu’on attend d’elle : se marier avec Lothaire de Montfaucon, jeune châtelain vaniteux et coureur, s’éteindre dans son rôle d’épouse soumise… Et elle dit « non » le jour de la noce, choisissant de s’emmurer vivante pour prier. Son père humilié lui fait construire une cellule attenante à la chapelle de son château, avec une seule ouverture sur le monde par une fenestrelle pourvue de barreaux. Il enterre sa honte et sa fille. Et Esclarmonde attend de cette immobilité contemplative son « ascension par la prière », alors même que sa servante Jehane parvient à partir sur les routes avec son amour :

« Jehane est partie pour Paris à pied avec son maigre baluchon et un ventre déjà rond qu’elle m’avait fait palper depuis la fenestrelle en riant.

Nous étions séparées pour de bon. Elle, en branle de par le monde, ferait des routes sa demeure, elle traverserait le pays, mesurerait la création à l’aune de ses foulées, elle vivrait sous le ciel tel un aubain, travaillerait en chemin, s’arrêtant où Pierre et son père trouveraient de l’ouvrage, elle irait au-delà du grand calvaire qui marquait la fin de cette terre et barrait l’horizon. (…) Elle enflerait la vague des marcheurs, ce peuple nomade, composé d’errants, de fugitifs, de jongleurs, de compagnons et de pèlerins. Ceux qui traînaient leur croix, ceux qui coupaient leurs liens, ceux qui marchaient leur rédemption. Et moi, je resterais en ma cellule, contemplant les univers que le Christ me donnerait à voir, immobile, toute à mon voyage vertical, à mon ascension par la prière et chacun saurait où me trouver, comme on sait où trouver un moulin ou une tombe. Elle serait la parole vivante livrée au vent et déjà envolée, et moi un mot lourd gravé dans la pierre ».

Mais le silence ne s’impose pas de lui-même, tout autant que la solitude. Les gens affluent auprès de la recluse, de la nouvelle sainte… et la parole d’Esclarmonde, tout autant que ses rêves, s’étendent du domaine des Murmures jusqu’en Terre Sainte. Elle est « posée comme une borne à la croisée des mondes ». Et quelqu’un s’est immiscé dans son ventre pour s’opposer à cette solitude volontaire, introduisant l’amour et la ligne entre les vivants et la prière.

Carole Martinez nous introduit dans le murmure d’un monde envoûtant. Avec un puissant souffle poétique, elle nous emporte dans un univers suave, cruel, empli de rêves, un univers de contes que notre époque semble avoir oublié… comme le rappelle la voix d’Esclarmonde :

« Le monde en mon temps était poreux, pénétrable au merveilleux. Vous avez coupé les voies, réduit les fables à rien, niant ce qui vous échappait, oubliant la force des vieux récits. Vous avez étouffé la magie, le spirituel et la contemplation dans le vacarme de vos villes, et rares sont ceux qui, prenant le temps de tendre l’oreille, peuvent encore entendre le murmure des temps anciens ou le bruit du vent dans les branches. Mais n’imaginez pas que ce massacre des contes a chassé la peur ! non, vous tremblez toujours, sans même savoir pourquoi ». (…) « Certes ton époque n’enferme plus si facilement les jeunes filles, mais ne te crois pas pour autant à l’abri de la folie des hommes. J’ai vu passer les siècles, l’histoire n’a jamais cessé de chambouler nos vies et les évidences sont infiniment fragiles. »

Alors pour veiller, pour retrouver la magie du merveilleux et son écho aujourd’hui, lisez ce livre dans un murmure… c’est un régal !

BBLR

Du domaine des murmures - Martinez Carole - Gallimard (2011)

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