Nancy Huston (Textes) et Ralph Petty (Dessins)
Un jour, Nancy Huston a vu une série de lavis (peintures unicolores) réalisés par Ralph Petty qui lui ont plu. Il les faisait en une dizaine de minutes chaque matin, juste après la lecture des journaux ou l’annonce des nouvelles à la radio. Il les peignait sans réfléchir, en laissant sa main accomplir son dessein, sans comprendre même lui-même ce qu’elle avait voulu exprimer. Il les appelait ses Notes du Souterrain, mêlant nos angoisses et nos rêves collectifs et personnels. Et lorsque Nancy Huston les a montrés quelques années plus tard à son éditrice, celle-ci a eu l’idée d’un livre à quatre mains, un texte répondant en dialogue à une image chaque jour, sur une année.
Une sorte de « journal intime et politique » entrecroisant dans l’expérience de l’écrivaine et du peintre « les évènements du monde » et ceux de leur vie intérieure et intime. Cet échange des « mots » quotidiens avec des « images » émergeantes a donné lieu aux « Démons quotidiens », au démontage des « monts » quotidiens… Et Nancy Huston sait saisir les maux de son temps, ses « démons », avec la justesse et la finesse que j’ai aimées dans un de ses précédents romans, Lignes de faille. Un exemple glané parmi tant d’autres :
« Juin 2010, La retraite à vingt ans
Je me souviens de la gravité avec laquelle, quand ma fille est entrée au CP en 1985, le directeur de son école nous a dit : “La préparation du bac commence maintenant.” J’avais envie de renchérir : “Et la retraite de ces pauvres petits ? On y pense ?”
Tout le monde fait semblant de ne pas voir ce qui se passe pour les neuf-dixièmes des citoyens de notre pays : après une éducation stressante, sous pression constante, dans la rivalité, la tension et l’angoisse de la préparation des examens, ce à quoi on peut s’attendre c’est, au pire, le chômage, et au mieux, trente-sept, trente-huit ou trente-neuf ans d’un emploi sans intérêt, sans la moindre possibilité d’épanouissement.
“Travailler plus pour gagner plus”: le plus horrible projet de vie qui ait été proposé à un peuple par son chef. »
Une voix qui dessille… et un coup de crayon qui laisse à voir notre multitude sous nos choix, nos peurs et nos fantasmes dits « personnels »… Le dessin répond souvent bien au texte, élargit sa pensée. Et le texte s’accorde bien aux décalages des lavis. Les Démons quotidiens se lisent d’une traite, presque sans respirer, ils font écho à certaines de nos pensées, parallèlement à celles de l’auteur et du peintre, qu’il s’agisse du féminisme, de l’écologie, du fric et du pouvoir… on le lit même un peu trop vite… il semble alors manquer un petit quelque chose, ce n’était sans doute pas l’objet du livre, mais on souhaiterait un dialogue plus approfondi encore aux multiples questions posées, un dialogue à poursuivre, à compléter ?
BBLR